Avancer sur des nouveaux chemins de justice, un retour vers le futur.
L’intégration des modes de Prévention et de Règlement des Différends (ci-après « les modes de PRD ») au Nouveau Code de procédure civile (ci-après le N.C.p.c.)[1] démontre que l’avenir de la justice au Québec passera par une plus grande utilisation des mécanismes de règlement amiable et par le développement d’une justice participative. Les modes de PRD sont non seulement reconnus par le législateur comme des modes de justice civile, mais ils sont aussi encouragés puisqu’il faut considérer y recourir avant une instance judiciaire et tout au long de celle-ci[2].
On peut légitimement se questionner sur les raisons qui ont poussé le législateur à inciter les parties en différends et les avocats à recourir à la médiation plutôt qu’à faire un procès, et pourquoi une médiation privée au lieu d’une médiation judiciaire. Les grands changements n’arrivent pas tout seul. Ils s’inscrivent dans le courant de l’histoire et ils s’expliquent généralement par la nécessité de surmonter des enjeux qui autrement resteraient non résolus.
Le nouveau N.C.p.c. qui a été adopté en 2014[3] et qui est entré en vigueur le 1er janvier 2016[4] cherche à améliorer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile. Il est né de la nécessité de combattre le « décrochage judiciaire » [5], les chiffres démontrant un manque d’intérêt du public envers le système judiciaire. En effet, entre 2001 et 2011/2012, le nombre de dossiers ouverts devant les tribunaux québécois a diminué de 32,5 pourcent[6]. Au total, le nombre de dossiers inscrits est passé de 246 000 en 1980 à 118 890 en 2011, soit une baisse de plus de moitié[7]. Les justiciables auraient ainsi perdu confiance en notre système judiciaire qu’ils considèrent beaucoup trop long, très coûteux et manifestement très insatisfaisant[8].
Les activités judiciaires diminuant, la profession d’avocat en est affectée, comme le disent les avocats eux-mêmes. Selon eux, la tendance la plus susceptible d’affecter leur profession est, en 2013, la perte de confiance du public envers les institutions et notamment les institutions juridiques[9]. Cette diminution de l’offre traditionnelle juridique rend la situation d’employabilité des jeunes avocats plus difficile et plus précaire[10].
La réponse du législateur face à cette crise de la justice a été de faire le choix d’une conception plus moderne de l’accès à la justice. En effet, avec le N.C.p.c. l’accès à la justice ne se limite plus à l’accès à un juge mais s’élargit sur d’autres modes de justice qui étaient auparavant considérés comme « alternatifs » tels que la négociation et la médiation[11]. Ces modes de PRD représentent une culture de différend moins adversariale et plus consensuelle et s’inscrivent dans le nouveau cadre de la justice participative.
La justice participative est un cadre de référence qui a été élaboré dans la dernière décennie et qui a pour objectif de prévenir et de régler les différends à travers l’utilisation d’un mode de PRD[12]. Elle favorise la participation des personnes dans la recherche d’une entente, directement par les parties elles-mêmes et avec l’appui possible d’un tiers qui peut être un juge ou un médiateur privé.
Au Québec, les modes de PRD peuvent être conduits par un juge dans le cadre des Conférences de règlement amiable (ci-après les « CRA ») et ils s’inscrirent alors dans la justice civile publique (ci-après « les modes publics de PRD »). Mais ils peuvent aussi être conduits par un médiateur privé et s’inscrire ainsi dans la justice civile privée (ci-après « les modes privés de PRD ») (ensemble, « les modes de PRD »).
Les modes de PRD existent au Québec depuis bien avant l’adoption du N.C.p.c.. Leur origine remonte, au moins, à 1981 avec l’apparition de la médiation judiciaire qui était rendue obligatoire par le législateur en matière familiale[13]. C’est aussi à ce moment que, de l’autre côté de la frontière aux États-Unis, paraissait l’ouvrage « Getting to yes » avec les désormais très célèbres auteurs Fisher et Ury qui ont instigué une nouvelle manière de régler les différends qui ne soit pas seulement revendicatrice mais plus créatrice de valeur ajoutée[14].
Puis, en 1992 un projet pilote de médiation a été initié en matière civile et commerciale d'abord à la Cour du Québec dans le district de Montréal [15] et ensuite à la Cour supérieure entre 1995 et 1997[16]. En 1997, un programme de médiation judiciaire a été mis en place à la Cour d’appel du Québec[17]. En 2001, la médiation judiciaire a été introduite au Code de procédure civile sous le nom des Conférences de règlement amiable (« CRA »)[18] et la médiation judiciaire couvre alors toutes les matières de la justice civile.
En 2014, le législateur a décidé d’aller plus loin en ajoutant aux CRA les modes privés de PRD dans la procédure civile. Il est désormais possible et même encouragé d’utiliser les modes privés de PRD dans un objectif d’améliorer l’accessibilité de la justice civile. Pour rassurer le public quant à leur utilisation, le N.C.p.c. prévoit plusieurs garanties procédurales[19].
Ce choix d’inciter le public à utiliser les modes privés de PRD avant d’éventuelles procédures judiciaires tel que le prévoit l'article 1 du N.C.p.c. est destiné à changer le paradigme de la culture de règlement des différends. À l’ère du N.C.p.c., bien que les procès continueront de jouer un rôle par ailleurs essentiel dans un État de droit, il est à prévoir que les modes privés de PRD seront davantage utilisés notamment avant de commencer, si nécessaire, une action devant le tribunal.
Ce nouveau paradigme donne à la justice participative une place de choix dans le panorama de la justice civile. Rappelons que la justice participative doit se comprendre comme étant un cadre de prévention et de règlement des différends qui permet une justice plus consensuelle de se déployer. En recréeant un dialogue empreint de respect entre les personnes en différends, elle encourage leur proactivité et favorise la créativité dans la recherche de solutions pour tenter d'aboutir à une entente mutuellement satisfaisante[20].
Le N.C.p.c. recherche ainsi à effectuer un passage vers une justice plus consensuelle à travers les modes de PRD. C'est d'ailleurs ce que recommande plusieurs rapports québécois[21] et canadiens[22], et aussi la Cour Suprême du Canada. En 2014, dans l'affaire Hryniak c. Mauldin, la Cour Suprême du Canada a énoncé clairement le besoin de « reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables » [23]. Parce qu’ils représentent « des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire »[24], ils doivent être mis de l’avant dans la procédure judiciaire, selon la Cour Suprême du Canada.
Ce virage culturel suit aussi les recommandations d'un rapport paru en 2003 par la Commission du Droit du Canada intitulé « La transformation des rapports humains par la justice participative »[25] qui avait relevé que la justice participative répondait mieux aux besoins du public. Les justiciables avaient en effet exprimé qu’ils préféraient choisir leur mode de résolution de conflit et participer au processus de règlement de leur différend en vue de trouver une solution mutuellement acceptée.
C’est suite à cet historique, aux nombreuses recherches et recommandations d'experts cherchant à répondre au manque d'intérêt du public envers le système judiciaire traditionnel, qu’aujourd’hui le le N.C.p.c. appelle tous les acteurs du système de justice à passer d’une « culture du procès » à une « culture de l'entente » comme l'a dit la Ministre de la justice[26]. La mise en œuvre de cette nouvelle culture passera par des comportements concrêts venant de tous les officiers de justice afin que le public retrouve confiance en notre système de justice. Car, comme disait Francis Bacon : « Si nous ne maintenons pas la justice, la justice ne nous maintiendra pas ».
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Créatrice de Néojustice, Tessa Manuello est médiatrice accréditée et chercheuse associée au Groupe pour la Prévention et le Règlement des Différends (G-PRD). Elle détient plusieurs maîtrise en droit international, droits humains, et bientôt en prévention de règlement des différends de l'université de Sherbrooke. Forte de ses expériences professionnelles en cabinets d'avocats, dans un centre international d'arbitrage, en milieu communautaire et en recherche universitaire, elle s'intéresse aujourd'hui au numérique et aux technologies pour répondre avec créativité au besoin d'innovation dans la justice. C'est pour partager les savoirs sur l'avenir de la justice et inspirer qu'elle a co-fondé Néojustice, un forum où se créent les idées nouvelles pour l'avenir de la justice.
[1] N.C.p.c., Article 1.
[2] N.C.p.c., Article 1 al. 3; Voir aussi Québec, Ministère de la justice, Commentaires de la ministre de la Justice : Le Code de procédure civile. Montréal, Wilson Lafleur, 2015, article 1 : « Cet article établit dès le départ que les modes privés de prévention et règlement des différends sont inclus dans la notion de justice civile. Ils ont donc pour vocation de favoriser la recherche et la reconnaissance de la justice comme élément fondamental de la société. (…) » à la page 19; Voir également Jean-François Roberge, « Article 1 » dans Luc Chamberland, dir, Le Grand collectif : Le nouveau Code de procédure civile. Commentaires et annotations, Cowansville, Yvon Blais, 2015, 5 à la page 6.
[3] L.Q. 2014, c. 1.
[4] D. 1066-2015, (2016) GOQ II, 4709.
[5] Voir notamment, Nicolas Plourde, Rapport du bâtonnier dans Pour une justice accessible, Rapport annuel 2009-2010, Barreau de Montréal, p. 3.
[6] Voir Barreau du Québec, Barreau-mètre 2015 - La profession en chiffres, janvier 2015, à la page 43.
[7] Op cit.
[8] Voir aussi Pierre-Claude LaFond, L’accès à la justice civile au Québec : portrait général, Cowansville, Yvon Blais, 2012, spécialement aux pages 33 à 47.
[9] Voir Barreau du Québec, Barreau-mètre 2015. La profession en chiffres, janvier 2015, à la page 41.
[10] Voir Jeune Barreau de Montréal, Situation de l’emploi chez les jeunes avocats du Québec, 16 février 2016.
[11] Traditionnellement, l’accès à la justice est axé sur l’accès au système judiciaire alors que selon une conception plus moderne, l’accès à la justice est orienté sur l’accès aux modes de privés de prévention et de règlement des différends. Voir Guillaume Rousseau, « L’accès à la justice, les procédures judiciaires et le Nouveau Code de procédure civile : Conceptions, moyens et premier bilan. » dans Louise Lalonde et Stéphane Bernatchez (dir.), Le Nouveau Code de procédure civile du Québec. « Approche différente » et « accès à la justice civile »?, Édition Revue de Droit, Université de Sherbrooke, 2014, à la page 17.
[12] Voir Commission du Droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative, 2003, En ligne <http://publications.gc.ca/collections/Collection/JL2-22-2003F.pdf>; Voir aussi Jean-François Roberge, La justice participative. Changer le milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, particulièrement à la page 11 et à la page 14.
[13] Richard J. McConomy, « La médiation en droit de la famille», dans Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : Aspects nationaux et internationaux, Association Henri Capitan (section québécoise), Jean-Louis Baudouin (dir.), Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997, aux pages 257-264 en particulier à la page 257.
[14] R., Fisher, W. Ury, et B. Patton, Getting to YES: Negotiating agreement without giving in, 1e ed. et 2e ed. Boston, Houghton Mifflin, 1981 et 1991.
[15] Gontrant Rouleau, « Médiation : médecine douce du droit – Survol de la situation au Canada et au Québec », dans Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : Aspects nationaux et internationaux, Association Henri Capitan (section québécoise), Jean-Louis Baudouin (dir.), Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997 aux pages 3-22, en particulier à la page 4.
[16] Gontran Rouleau, « L’expérience du projet pilote de Montréal en médiation civile et commerciale », dans Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : Aspects nationaux et internationaux, Association Henri Capitan (section québécoise), Jean-Louis Baudouin (dir.) Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997, aux pages 179 à 191, en particulier aux pages 179 à 181.
[17] Louise Otis, « La transformation de notre rapport au droit par la médiation judiciaire », 8e conférence Albert-Mayrand, Université de Montréal, Éditions Thémis, Montréal, 2004, à la page 15.
[18] Ancien Code de procédure civile, articles 151.14 à 151.23. Voir Michel Robert, « La nouvelle façon de rendre la justice », dans Panorama des médiations dans le monde. La médiation, langage universel de règlement des conflits. Actes du colloque des premières assises internationales de la médiation judiciaire, Paris, 16-17 octobre 2009, GEMME – L’HARMATTAN, 2010, aux pages 180 181 en particulier à la page 180.
[19] Voir les articles 1 à 7 N.C.p.c. pour les garanties générales relatives à la procédure dans les modes de PRD.
[20] Jean-François Roberge, La justice participative. Changer le milieu juridique par une culture intégrative de règlement des différends, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, à la page 11.
[21] Voir notamment Barreau du Québec, Rapport sur les avocats de pratique privée en 2021. Juin 2011, En ligne : <http://www.barreau.qc.ca/fr/publications/avocats/avocats-2021/index.html> ; Depuis 2008 une table ronde sur la justice participative est organisée annuellement par le Barreau de Montréal : Voir Barreau de Montréal, En ligne : <http://www.barreaudemontreal.qc.ca>.
[22] Voir notamment Canada, Commission du Droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative, Ottawa, 2003 ; Canada, Comité d'action sur l'accès à la justice en matière civile et familiale, L’accès à la justice en matière civile et familiale. Une feuille de route pour le changement, Ottawa, Octobre 2013, à la page 2.
[23] Voir Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7 aux paras 1, 2, 27-28 : « [1] De nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada. (…) [2] On reconnaît de plus en plus qu’un virage culturel s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile. Ce virage implique que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire. L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables. »; Voir aussi Seildel c. TELUS Communications Inc., 2011 CSC 15 au para 54 : « [a]u Canada, le concept d’accès à la justice ne comprend plus seulement l’accès au système judiciaire public ».
[24] Voir Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7 au para 1.
[25] Canada, Commission du Droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative, Ottawa, 2003.
[26] Voir Cabinet du ministre de la justice du Québec, communiqué, « Entrée en vigueur de la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile : “La ministre de la Justice est fière d'améliorer l'accès de la population au système de justice" » (16 décembre 2015), en ligne : Site officiel du ministre de la justice du Québec <www.justice.gouv.qc.ca/francais/themes/ncpc/> ; Voir aussi Julie MacFarlane, The New Lawyer. How Settlement is Tranforming the Practice of Law, Vancouver, UBC Press, 2008, pour un aperçu général sur la manière dont la pratique des règlements amiables peut transformer la pratique juridique.